Le changement climatique transforme en profondeur les forêts de nos régions. Tantôt stimulant, tantôt perturbateur, il agit sur de nombreux paramètres qui influencent la croissance et la santé des arbres. Face à cette complexité, les scientifiques développent des modèles pour mieux anticiper l’avenir des écosystèmes forestiers.
Des arbres sous influence
Les arbres ont des besoins fondamentaux : lumière, eau et nutriments. Ces ressources, essentielles à leur développement, sont directement impactées par les conditions climatiques. À mesure que la planète se réchauffe, on observe des changements notables dans le fonctionnement biologique des arbres. Par exemple, les bourgeons s’ouvrent plus tôt au printemps, allongeant la saison de végétation. Cela pourrait favoriser la photosynthèse, notamment en présence de concentrations plus élevées de CO₂ atmosphérique.
Mais cette évolution a un revers : les sécheresses estivales, de plus en plus fréquentes et intenses, ainsi que les vagues de chaleur, mettent les arbres à rude épreuve. Le stress hydrique réduit leur vitalité, affaiblit leurs défenses naturelles et les rend plus vulnérables aux parasites et maladies.
Des effets contrastés, difficiles à prédire
Les impacts du changement climatique sur les forêts ne sont pas linéaires. Certains effets peuvent améliorer la croissance à court terme, tandis que d’autres provoquent des dépérissements. La complexité vient du fait que tous ces facteurs interagissent et créent des réactions en chaîne. Il est donc très difficile de prédire ce que deviendra une forêt donnée dans 10, 20 ou 50 ans.
Des modèles pour éclairer l’avenir
Pour mieux comprendre cette dynamique, des chercheurs développent des outils de simulation. L’un de ces modèles, nommé HETEROFOR, a été conçu pour reproduire le comportement des arbres selon leur environnement immédiat. Ce modèle unique considère chaque arbre comme un individu à part entière et prend en compte sa position, sa taille et son accès aux ressources par rapport aux autres arbres du peuplement.
Depuis 2012, cette approche fine permet de tester différentes hypothèses climatiques et sylvicoles. En croisant les projections du climat futur avec des scénarios de gestion forestière, les scientifiques peuvent simuler des évolutions contrastées selon les choix que nous ferons aujourd’hui.
Un climat de plus en plus extrême
Le climat ne cesse de changer, et les forêts le ressentent déjà. Depuis les années 1960, la température moyenne augmente continuellement. Les projections indiquent un réchauffement de +1 à +2 °C en moyenne d’ici la fin du siècle dans le meilleur des cas… et jusqu’à +5 °C dans les scénarios les plus pessimistes.
La région ardennaise est particulièrement concernée : elle pourrait se réchauffer jusqu’à +6,3 °C par rapport à la période préindustrielle, un effet amplifié par l’éloignement de la mer. En parallèle, on observe déjà une augmentation de la fréquence des canicules depuis 2015, un ensoleillement accru (+15 % attendu d’ici 2100) et une perte plus rapide d’eau par évaporation des sols.
Paradoxalement, la quantité annuelle de pluie ne diminue pas forcément, mais elle devient beaucoup plus variable. Les périodes de sécheresse deviennent plus longues et plus intenses. Autre phénomène préoccupant : les hivers doux favorisent des débourrements précoces, exposant les bourgeons à des gels tardifs, un risque particulièrement critique pour les jeunes arbres… et même pour la viticulture en Belgique.
Adapter la gestion forestière
Face à ces incertitudes, l’adaptation est la clé. Grâce aux modèles climatiques et forestiers, les gestionnaires peuvent explorer différents scénarios et identifier les pratiques les plus résilientes. L’objectif : accompagner les forêts dans leur transformation, favoriser leur stabilité écologique et maintenir leur capacité à rendre des services vitaux à la société (stockage de carbone, régulation de l’eau, biodiversité…).
Car si les forêts sont elles-mêmes menacées par le changement climatique, elles peuvent aussi faire partie de la solution. Les arbres captent le CO₂ de l’atmosphère, agissant comme des puits de carbone. La reforestation est donc une stratégie essentielle. Mais elle n’est pas magique : en captant la lumière, les forêts foncent le sol (effet d’albédo), ce qui peut parfois amplifier localement le réchauffement. Là encore, tout est question d’équilibre.
Vers une gestion proactive et intégrée
Les forêts sont à un tournant. Elles subissent des pressions multiples mais conservent un potentiel immense. Pour le préserver, il faut croiser la science, la technologie et la gestion de terrain. Suivi climatique, outils en ligne d’évaluation de la sécheresse, observations sylvicoles : autant de leviers pour piloter l’avenir forestier de façon éclairée.
Comprendre, anticiper, s’adapter. Tel est le triptyque indispensable pour que les forêts restent un pilier de l’équilibre écologique dans un monde en mutation rapide.
Sources : Accord-cadre de recherches et vulgarisation forestières et Sébastien DOUTRELOUP – Maître de Conférences – Uliège – Climatologie et Topoclimatologie
Illustration : Antoine Van Houtte