L’entreprise Gebrüder Lenges de Saint-Vith, dans les cantons de l’Est, est spécialisée dans la biométhanisation. De plus, la famille Lenges possède également une entreprise de travaux agricoles, effectue du transport par camions, possède un élevage équestre, élève 250 vaches laitières et propose des travaux de terrassement. Nous avons souhaité découvrir plus en détails les particularités de cette firme qui emploie 25 salariés.
Au départ, la biométhanisation a été installée comme une solution pour pouvoir chauffer les porcheries. Cette idée a germé après une visite de la famille Lenges en Allemagne, où il y avait déjà des installations de ce type. “La combinaison des deux activités était intéressante et cela permettait d’avoir d’autres métiers sur l’exploitation pour occuper 3 personnes. Avec seulement les vaches laitières, il n’y avait pas assez de travail”, nous a expliqué Alwin Lenges. C’est ainsi qu’en 1998 la première porcherie pour 1 000 porcs a été construite ainsi qu’une petite installation de biogaz de 44 kW.
Biométhanisation
L’installation de biogaz utilise un processus naturel de fermentation anaérobie pour décomposer la matière organique, principalement composé de méthane (CH4) et de dioxyde de carbone (CO2) en biogaz. Celui-ci est ensuite utilisé pour produire de l’électricité et de la chaleur, contribuant ainsi aux énergies renouvelables et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Valorisation de déchets
Chez Gebrüder Lenges, les digesteurs ne sont alimentés que par des déchets. “Contrairement à ce qui est courant en Allemagne, nous n’utilisons pas de plante énergétique ici. Si l’installation devait utiliser uniquement du maïs, 1 200 ha seraient nécessaires… Nous n’avons pas la possibilité d’implanter une telle superficie de cette culture dans notre région. En plus, il y a des déchets disponibles localement. L’installation peut donc être considérée comme une unité de recyclage de déchets organiques”.
90 % des déchets utilisés proviennent d’un rayon de 60 km autour de l’entreprise. “Ce sont des déchets en vrac et qui proviennent, entre autres, d’industries agro-alimentaires. C’est très varié : aliments pour chiens, déchets de boulangeries, pizzas, pâtes, confitures, huiles végétales, chocolat, céréales, poudre de lait, peau d’amande, etc. Ils sont disponibles toute l’année et nous n’avons donc pas besoin de silo pour les stocker. C’est un avantage, car malgré nos trois digesteurs, l’espace utilisé est assez restreint”.
La biométhanisation est donc un outil pour gérer et valoriser des déchets organiques. Au lieu de les laisser se décomposer dans des conditions non contrôlées, ce qui pourrait libérer des gaz nocifs comme le méthane (CH4), ce procédé les transforment en une ressource énergétique précieuse : le biogaz.
Le méthane capté, un atout majeur pour le climat
En capturant et en valorisant le méthane, la biométhanisation joue un rôle crucial dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre car le méthane est un gaz à effet de serre très impactant. “Ce dernier a un potentiel de réchauffement global environ 25 à 28 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone sur un horizon de 100 ans, et environ 80 fois plus puissant sur un horizon de 20 ans. Cela contribue donc directement à la lutte contre le réchauffement climatique et permet de réduire la dépendance aux énergies fossiles”.
Production d’électricité verte
Au fil du temps, l’installation de biométhanisation a pris de l’ampleur et s’est progressivement agrandie et a amélioré ses performances. Chez Gebrüder Lenges, le biogaz est converti en électricité. Actuellement, la production est de 2 600 mégawatts. Cela équivaut à la consommation de près de 6 000 foyers. Pour y arriver, 3 digesteurs principaux sont utilisés. La particularité est qu’il s’agit de la seule biométhanisation 100 % privée de Belgique : “C’est un avantage car les décisions peuvent être prises rapidement. Au plus il y a de personnes, au plus les accords sont difficiles à trouver et prennent du temps. Ce qui est aussi spécifique chez nous, c’est que nous avons de l’expérience dans ce domaine et notre installation reste simple. Nous effectuons la majorité des entretiens nous-mêmes et nous avons une bonne connaissance de ce métier”.
Recharger sa voiture grâce au biogaz de la ferme
Le biogaz produit est traité et purifié pour pouvoir être brûlé efficacement dans les moteurs qui permettent de produire de l’électricité. L’électricité produite par Gebrüder Lenges est en partie valorisée sur l’exploitation pour couvrir ses propres besoins. Le surplus est ensuite injecté sur le réseau électrique.
De plus, des bornes de recharge pour voitures électriques ont été installées. Tout à chacun peut venir recharger son véhicule. “L’électricité est ainsi vendue du producteur vers la voiture électrique avec site proche de l’autoroute. Cela fonctionne bien et nous avons des projets pour étendre cette activité dans l’objectif de vendre tout notre surplus d’électricité de cette manière pour ne plus devoir ré-injecter de l’électricité sur le réseau”. Le chargeur rapide pour voiture est donc mis en vente à un tarif 40 % moins cher que ce qui est demandé sur les stations des autoroutes.
Entreprise agricole
Gebrüder Lenges propose également des services agricoles pour les agriculteurs locaux. Un large panel de travaux est proposé, depuis le labour, jusqu’à la récolte, en passant par la fenaison. “Ma volonté est de proposer un travail de qualité et de savoir servir l’ensemble de mes clients. Par exemple, l’année 2024 a été compliquée en raison de l’humidité importante, mais tous nos clients ont pu être servis. Je ne veux pas avoir trop de clients pour que tout le monde soit satisfait”.
Fidèle à une seule marque
Les marques utilisées pour cette activité sont John Deere, Kuhn, Krone, Göweil, Bergmann et Claas. “J’ai pour principe de rester dans la même marque pour le même produit. Cela permet d’avoir des pièces et l’huile appropriée en stock et des chauffeurs qui connaissent le matériel. En principe, les John Deere sont remplacés après 5 années d’utilisation. Suite à l’augmentation du prix du matériel, je les garde un peu plus longtemps en attendant de voir comment les prix vont évoluer. Le Claas Xerion 3800 est utilisé pour tasser les silos et faucher avec un combiné papillon. Au total, je dispose de trois faucheuses : deux Kuhn et une Claas”.
L’épandage de digestat et des effluents est réalisé avec un automoteur Vredo. “C’est plus intéressant qu’une tonne sur tracteur pour les pâtures et les terres mouillées. Cela offre aussi la possibilité d’avoir de larges pneus avec du télégonflage”.
La récolte d’herbe avec une ensileuse
Auparavant, la récolte d’herbe ne se faisait qu’avec des autochargeuses. Désormais, une ensileuse est également utilisée pour cette activité. “L’usure des remorques sur la route et l’investissement important ont fait que l’herbe sera désormais aussi ramassée avec une ensileuse. De plus, cela va permettre une meilleure coupe et une meilleure qualité des silos. Les Bergmann seront donc utilisés comme caisse de transport à l’avenir. Je souhaite aussi garder la possibilité de pouvoir ramasser avec. Cela offre une bonne polyvalence et l’autochargeuse reste intéressante sur des terrains petits où une ensileuse est trop imposante”.
Service complet pour le transport des déchets
L’entreprise peut déplacer des déchets sous toutes leurs formes. Elle transporte pas moins de 30 000 tonnes de déchets chaque année : “En réalisant nous-mêmes l’acheminement des déchets, nous assurons une communication directe avec l’usine, ce qui renforce considérablement notre réactivité et notre flexibilité pour nos partenaires” nous a confié M. Lenges.
Bien que l’entreprise dispose également de tracteurs agricoles, la majorité des déplacements se font par camions. “Les tracteurs agricoles ne sont utilisés que pour parcourir 5 à 10 Km ou aller aux endroits où les camions ne peuvent pas accéder. Ce matériel est trop cher pour effectuer du transport sur la route… On ne peut pas aller sur l’autoroute, les pneus usent assez rapidement et coûtent 4 x plus cher que sur un camion et l’investissement est plus conséquent. Utiliser des camions est moins cher et je me demande même pourquoi il n’y a pas plus d’utilisation de camions dans le secteur agricole” nous a expliqué M. Lenges.
Les 8 camions de l’entreprise sont personnalisés et se reconnaissent facilement avec leur coloris jaune. Les marques utilisées sont Scania et Volvo. “Quand les camions ont un million de kilomètres au compteur, des nouveaux sont commandés. Désormais, je garde aussi les anciens camions qui sont utilisés quand il y a des pics d’activités. J’ai par exemple un Scania qui a 1,4 millions Km, mais qui va encore très bien, dont on connaît l’historique et qui convient en véhicule de remplacement”.
Réflexion pour des camions électriques
Comme l’entreprise produit son propre courant, une réflexion est en cours concernant l’acquisition potentielle de camions électriques. : “Les camions électriques utilisent une technologie simple, leurs entretiens sont plus simples, et ils ne sont pas soumis aux taxes routières en Allemagne, ce qui permet de faire de grandes économies quand nous roulons là-bas. Leur poids est très légèrement plus important, d’environ 1,5 t, par rapport à un camion traditionnel mais la législation va peut-être évoluer et il est probable qu’ils pourront être plus chargés, ce qui va compenser le poids de la batterie”.
“L’autonomie proposée atteindra bientôt les 600 km. Dans notre cas, c’est suffisant car nos camions reviennent souvent à l’exploitation et peuvent être rechargés en électricité quand ils sont occupés à décharger ou charger leur cargaison. Au final, c’est donc peut-être moins cher qu’un camion diesel… Malheureusement, les aides à l’achat sont inexistantes en Wallonie. C’est donc seulement le prix d’achat qui n’est pas intéressant pour le moment”.
Nous avons demandé à Alwin Lenges ce qu’il pensait de la technologie des camions roulant au gaz. Il n’envisage pas d’acheter cette technologie dans l’immédiat car une installation complémentaire devrait être installée. “Il faut comprimer le gaz, le purifier, etc et cela demande de l’énergie… De plus, les moteurs fonctionnant au gaz sont moins robustes que les moteurs diesel. Je pense que les économies possibles avec un moteur au gaz sont moindre qu’avec un camion électrique”.
L’élevage laitier
En 2022, l’entreprise a mis un terme à son élevage porcin. “Nous avions une porcherie de 2 000 places avec une production de 5 000 porcs par an. Le commerce était bon, mais il y a de plus en plus de sensibilité pour le bien-être animal et il y avait des odeurs. À la place de la porcherie, nous avons obtenu un nouveau permis pour une étable pouvant accueillir 250 vaches laitières”. Cette dernière est sortie de terre l’année dernière. “Ce choix nous permet de rester en bonne entente avec les villageois”.
L’importance de la discipline pour avoir un élevage performant
Dans l’étable, l’ambiance est calme et lumineuse et cela contribue au bien-être du troupeau. Un système automatisé de gestion de la climatisation et de la lumière est également présent. “Dans une étable robotisée, les animaux mettent en place leur propre routine. Les vaches sont calmes et ne sont pas stressées. Les animaux se sentent bien à l’intérieur et ils sont en sécurité. Tout cela contribue au confort des animaux. Nous travaillons en partenariat avec les vaches. Si elles se sentent bien, elles produisent du lait”.
Selon Alwin Lenges, il est important de bien faire les choses de base pour avoir un élevage performant : “La discipline est la base d’une bonne performance. Il est capital d’avoir des fourrages de qualité et conservés correctement en évitant les pourritures et le développement de champignons.” La production moyenne des vaches de l’exploitation est de 13 000 litres de lait par année avec un total d’environ 2 millions de litres de lait produits chaque année sur l’exploitation.
Étable robotisée
L’élevage comporte 4 robots de traite Lely. Récemment, un robot d’alimentation Trioliet Triomatic WP 2-300 a été mis en service. “Les étables ont été prévues pour et les chemins que le robot doit emprunter sont assez courts. L’espace cuisine est situé à proximité des silos. Cela fonctionne selon le principe du premier arrivé, premier parti et il n’y a donc pas de risques de pourriture. Pour nos 240 vaches, le robot est utilisé à 60 % de sa capacité. Cela permet une certaine réserve tampon au cas où il y aurait des soucis”.
Trioliet Triomatic WP 2-300
Le Trioliet Triomatic WP 2-300 se déplace sur quatre roues. Un rail d’alimentation alimente le robot en électricité, mais n’impose aucune exigence en matière de construction pour l’étable. Cette alimentation électrique continue permet au système de toujours rester sous tension. “L’avantage, c’est qu’il n’y a pas de batterie et que le robot peut donc travailler 24 heures sur 24”.
Le robot est doté d’une cuve de mélange en acier inoxydable résistant à l’usure de 3 m³. Les deux vis de mélange verticales sont également en inox. Il distribue entre 8 et 10 rations chaque jour. “Ce système a été mis en place il y a trois mois et j’en suis très satisfait. Selon moi, c’est un investissement de 15 à 50 ans de durée de vie”.
La robotisation a également permis de faciliter le travail de l’éleveur. “L’automatisation va me permettre d’économiser entre 30 000 et 50 000 €/an par rapport au coût de la main d’œuvre. En plus, avec moins de problèmes et pas besoin de devoir trouver des remplaçants s’il y a un absent”.
Une exploitation bien intégrée dans le paysage
Une attention est également portée à la gestion de l’eau. “Nous récupérons l’eau de 8 000 m² de toitures en plus d’utiliser de l’eau de source pour l’abreuvement des animaux. Je pense qu’une bonne maîtrise de l’eau et une autonomie est importante. L’eau va sûrement coûter cher dans le futur. J’ai donc mis au point un concept de sécurité avec l’eau”.
D’autres défis sont également rencontrés et sont en lien avec la législation et la bureaucratie qui augmente. “Nous avons besoin d’employés supplémentaires pour cela et ils doivent parfois faire le même travail plusieurs fois mais pour des organismes différents… Il y a beaucoup de nouvelles lois qui sortent et les dirigeants ne se rendent pas vraiment compte de ce que cela implique réellement et que ça complique notre travail”.
Enfin, Alwin Lenges accorde une grande importance à ce que son entreprise se fonde bien dans le paysage : “L’exploitation est bien intégrée dans le paysage. Tout est bien inclus dans la nature et dans l’environnement”.
Texte : Antoine Van Houtte · Illustration : Antoine Van Houtte et Gebrüder Lenges